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Lycée et CFA agricole La Bretonnière

Mobilité Enseignant Suède 1er- 6 mai 2019

Objectifs : visite de structures de stages, mise en place du partenariat avec un lycée agricole et discussions sur le développement durable

 

Mardi 30 avril : Atterrissage

A la descente de l’avion, c’est un drôle d’arbre qui m’accueille. Développement durable dans l’air… Hasard ou clin d’oeil ? Allez savoir !

Dehors entre l’aéroport et le centre ville, défilent des parois rocheuses, des forêts, des lacs. Cette nature si proche c’est curieux au point que je me demande : artificiel ou naturel ? Et puis les arbres laissent place à la grande roue du parc d’attraction… Bienvenue à Goteborg, Suède !

Mercredi 1er mai 2019 : Arrivée et rencontre

Il est midi, Sylvain et moi nous retrouvons devant la gare. Le rendez-vous à Strömma avec notre contact Anita est prévu pour 15h et nous ne sommes qu’à 50km. Nous avons un peu de temps devant nous après le déjeuner et décidons de faire un tour au centre ville. Goteborg, pour moi c’est une découverte. Pour Sylvain ce sont des retrouvailles car il y a vécu pendant 3 ans. Visite guidée au pas de course.

Norston, les « Galeries Lafayette » version suédoise.

System Bolaget, boutique d’alcool gérée par le gouvernement. Car ici en Suède, pas d’alcool en libre service en supermarché, seul l’Etat a le droit de vendre de l’alcool. Par le passé, dans les milieux ouvriers, l’alcool était une forme de rétribution, un salaire, m’explique Sylvain. De cette histoire a émergé des problèmes d’alcool dans la société suédois. Ce monopole de l’état sur la vente d’alcool permet un certain contrôle, mais aussi un meilleur conseil aux clients car les vendeurs de ces établissements sont formés. L’alcool (fortement taxé) est un produit de luxe surtout accessible aux classes moyennes ou aisées et réservé à des occasions spéciales.

Kungsparken, l’un des nombreux espaces verts de la ville. L’eau est omniprésente : des canaux sillonnent la ville, rappelant un peu des villes hollandaises comme Amsterdam. Je ne me trompe pas : j’apprendrai plus tard que la ville de Goteborg a en effet été construite par des Hollandais.

Kungsports Avenyn, l’avenue des Champs Elysée suédoise : une ligne droite bordée d’arbres, ouvrant sur le Musée des Beaux Arts à une extrémité. Sur cette avenue passent défilés et manifestations. Mais même au-delà des avenues, les rues ici sont particulièrement larges, l’espace est aéré. Chaque mode de locomotion a sa voie : le bus, le tram, la voiture, le cycliste, le piéton. On n’a jamais l’impression de se marcher dessus.

La mairie et sa place où les évènements sportifs et politiques amènent les Suédois à se rassembler, pour voir aux balcons un élu ou une célébrité.

Au loin on voit le clocher de l’église allemande. Attiré pour les affaires, de nombreux bourgeois allemands ont émigré ici par le passé, donnant naissance à des lignés de « von…. ».

Brunnsparken. Place centrale où se croise de nombreuses lignes de trams. Le lieu le plus pratique pour donner rendez vous à des amis.

Et partout une multitude de café. Le temps de la pause café (appelé Fika, issu du verlan suédois) est une véritable institution. A 11h, à 16h, partout dans le privé comme dans le publique, on cesse son activité et retrouve ses collègues pour un café et une pâtisserie. On se voit, se raconte son weekend, on se fait passer des informations. Ce temps et cet espace de socialisation favorise le bien-être et le bien vivre ensemble. La Suède l’a bien compris : se sentir bien dans sa structure est une condition essentielle à un travail efficace et de qualité.

Nous allons récupérer la voiture de location, une Toyota Yaris… automatique. Aïe Je n’en ai jamais conduit. Et Sylvain très peu. Déjà il faut trouver comment démarrer et utiliser le boîtier…. Mais nous finissons par trouver. 14h et nous prenons la route de Sätila. Derrière la vitre défilent forêts, rochers et lacs. La route est belle le long de cette nature si proche.

Nous atteignons le lycée agricole Strommae. Anita n’est pas encore là. Pas un bruit ni un signe de vie. Nous déambulons un peu dans la cour. Il y a plusieurs bâtiments rouge et blanc en latte de bois, typique du pays. Il y aussi une marre et des hangars, sûrement des parties de l’exploitation. Malgré le ciel grisonnant, la pelouse est d’un vert lumineux. Le site est paisible.

Quelques minutes plus tard, une voiture arrive et je vois une femme d’une cinquantaine d’année en sortir, l’air un peu fatiguée et timide mais le regard souriant. Après tous ces échanges électroniques c’est agréable de se rencontrer en face à face ! Après un point sur le planning, Anita nous fait le tour du site.

Les salles de classes : spacieuses et pratiques, toute équipées d’un projecteur et d’un pupitre mobile pour y brancher son ordinateur.

Les bureaux des enseignants : Chaque chaire, chaque enseignant a son espace. Pas de fioriture, mais un matériel, fonctionnel, simple et propre.

Le hall, qui a une allure de foyer avec ses canapés, sa télé et ses jeux de société.

La cantine, pas très grande.

La bibliothèque est encore en construction : les ouvrages restent encore à être classés et protégés, et le système de prêt informatisé doit être mis en place. Mais comme le dit Anita en riant, c’est au bas de la « to do list » pour le moment.

La salle de sport et de musculation au sous-sol.

Les étables et ateliers. En raison de la contrainte d’une période de quarantaine, nous ne pourrons visiter l’exploitation que plus tard.

Le lycée propose trois filières : agricole, animalière et équine. Chevaux, vaches, moutons, reptiles, oiseaux, poissons, la diversité des animaux est impressionnante. Quand je pense à nos élèves si nombreux à vouloir devenir soigneur animalier, je me dis que ce lieu leur plairait vraiment.

Il y aussi une cuisine pédagogique. L’un des bâtiments autrefois accueillait des couturières et ménagères. En effet, par le passé il y avait également des formations tournés vers le service. Aujourd’hui ces formations sont proposées ailleurs. Je suis surprise. Il semble qu’ici comme en France les filières agricoles et de service se sont côtoyés au fil de l’histoire.

Pour finir nous découvrons nos logements : Petite maisonnette rouge équipée de chambre individuelles, sanitaire et kitchenette commune en face de l’administration, nous sommes étonnés et ravis de ce confort. Ces petit appartement sont réservés aux élèves plus âgés ou certains enseignants ou intervenants qui parfois restent certains jours sur l’établissement. Les plus jeunes sont dans des chambres collectives à l’internat, un autre bâtiment en face.

Au fil de notre conversation avec Anita nous en apprenons plus sur l’histoire de l’école. Stromma vient de rouvrir depuis tout juste deux ans. En raison de difficultés financières l’école devait fermer. A ce moment il s’agissait d’une école publique et la municipalité ne voulait plus gérer la structure. La société privée d’agriculture et d’économie rurale, structure de recherches, développement, et accompagnement aux agriculteurs est alors intervenu. Certains des agriculteurs de cette société sont attachés à l’école car il y ont été eux-même formé. Ils ont décidé de racheter l’école pour lui donner une nouvelle vie et lui permettre de rouvrir. Aujourd’hui c’est une école gratuite et indépendante, géré en cohérence avec cette société. La municipalité soutient l’école, pour chaque élève une somme est versé à l’établissement. En effet, en Suède, tous les frais de scolarité sont pris en charge par l’Etat… Ou plutôt qu’ils sont inclut dans les taxes, comme bon nombre des services publiques… en contrepartie les Suédois sont soumis a des impôts extrêmement élevés.

Le lycée accueille environ 110 élèves, 70 en première année, 40 en deuxième, il n’y a pas encore de troisième année. Ils espèrent augmenter leurs effectifs pour obtenir davantage de soutien des municipalités et ainsi posséder davantage de moyens. Le recrutement est au cœur de leur stratégie c’est pourquoi l’école investi dans le marketing et la communication, une personne est d’ailleurs en charge de cette mission dans le personnel.

Anita nous embarque chez elle. Sur la route nous faisons une halte au bourg de Sätila à deux kilomètres de l’établissement. Elle nous montre la supérette, la banque, le centre de santé et puis « the beach » : Petit espace de sable et de roseaux devant un immense lac au pied du bourg. L’extrémité du lac n’est même pas visible et Anita nous dit qu’il atteint presque Kungsbacka, ville proche de la côte à environ 30 km. L’été la plage se remplit, les habitants et même des touristes allemands et hollandais viennent se baigner. Autrefois sur ce lac circulaient des bateaux de marchandises. Et on venait danser le foxtrott et écouter des bandes de musiques tous les weekends dans la petite salle attenante à la plage. Anita se souvient. Aujourd’hui il ne reste qu’un bateau, réaménagé en restaurant pour touristes. Et il la salle n’accueille plus de danseurs. Anita nous confie aussi que ce n’est pas le meilleur endroit. Les connaisseurs du coin préfèrent aller sur une autre plage un peu plus loin, dans une baie rocheuse, moins visible et du coup moins bondés.

Nous reprenons la route. Lorsque nous arrivons chez Anita, je reste interloquée devant le lieu. Sa maison de bois se trouve dans une clairière au bout d’un long et étroit sentier forestier. Comment font-ils en hiver lorsqu’il neige ? Et si isolé de tout ? Pas un bruit à part ceux des oiseaux, de l’eau, et à l’horizon, uniquement la forêt avec quelques passages réguliers de biches, et plus bas, le même lac. Quel isolement, et en même temps quel charme et quel calme ! Je comprends qu’ils sont attachés au lieu.

Boo, le mari de Anita, nous accueille. Comme Anita, un personnage tranquille et simple. L’intérieur de leur maison est chaleureux. Famille, travail, années d’expatriation en Suisse, opinions sur la Suède, l’immigration… autour des pizzas soigneusement préparées par Boo, la conversation va bon train et nous en apprenons plus sur leurs parcours. Avant de partir, Anita nous rappelle d’être prudent, il y a très souvent des animaux sur la route. Et en effet un peu plus loin nous croisons une biche qui tranquillement traverse la voie. Bienvenue en Suède !

Jeudi 2 mai : La société d’agriculture et d’économie rurale

Il est 7h15 et à la cantine nous sommes les premiers à nous présenter pour le petit déjeuner. Ce dernier est plus salé que sucré: Fromage, charcuterie, pain, lait, yaourt, jus de fruit. Ca me fait penser à l’Allemagne. Quelques élèves se montrent mais nous n’aurons pas le temps de voir plus foule puisqu’il nous faut nous mettre en route vers 8h30. Une heure de trajet jusqu’à Rädde, nous allons visiter la société d’agriculture et d’économie rurale à laquelle Stromma doit sa renaissance : Hushallningssallskapet (n’essayez pas de prononcer, c’est perdu d’avance).

Lorsque nous arrivons, Cecilia Hermansson nous accueille toute sourire. A peine nous a-t-elle fait entrée que le rituel suédois s’impose : nous nous retrouvons assis autour d’un café et d’une tartine : Fika time ! Moment convivial entre les employés dans cette structure qui abrite non pas uniquement la société d’agriculture mais plusieurs autres entreprises. Pour nous c’est l’occasion de faire connaissance avec Cecilia ainsi que sa supérieure.

Après un master en biologie et un stage aux Nations Unis à New York, Cecilia est arrivée en janvier dans cette société et a pris en charge la coordination et le suivi des projets de développement durable, sujet qui l’a passionne et qui l’amène à voguer entre bureau, labo et tests sur le terrain. La visite est bien organisée: Un bref power point sur l’histoire de la société, un tour du site et des échanges riche sur le développement durable, sur la Suède et la France… Petit briefing de cette intéressante matinée.

Hushallningssallskapet est une des 17 société indépendantes d’agriculture et d’économie rurale de Suède. Née au 18ème siècle dans une période de famine et de fragilité, ces sociétés avaient pour but d’améliorer l’agriculture et la vie rurale, de trouver des solutions adaptées à chaque région selon leurs caractéristiques agricoles et environnementales. Aujourd’hui il s’agit d’un centre de recherche, d’expérimentation, mais aussi de soutien, conseil et accompagnement pour les agriculteurs. Une « Chambre d’Agriculture » suédoise en quelques sortes. La société met à disposition des agriculteurs des conseillers qui peuvent leur apporter une expertise sur divers aspects par exemple sur le plan comptable, administratif ou écologique et ainsi les aider à grandir, à s’améliorer ou devenir plus durable. Ces conseillers pour la plupart ont eux-même une expérience du monde rural car ils sont ou ont été agriculteurs.

Atelier de tri et test des herbes… je ne pensais pas qu’il y avait tant de recherche à faire sur l’herbe !

L’exploitation de Rädde c’est 45 vaches, 78 ha (24 en conventionnel), et 340 ha de production de bois

Créer de l’électricité, faire fonctionner un moteur à partir de manure : Cecilia travaille actuellement sur un projet de biogas. Avec fierté et enthousiasme elle nous montre son laboratoire. Tous les agriculteurs ne sont pas ouverts à cette innovation parce que cela demande des infrastructures coûteuses. Mais pour Cecilia c’est aussi une question de mentalité et de décalage entre les générations. Les choses évolueront.

Après le déjeuner et la pause photo, nous partons, ravi de cette visite qui nourrit notre compréhension du contexte. Une chose me surprend tout de même : certes la société possède l’établissement, mais elle ne fait pas ou très peu d’interventions auprès des élèves. Le lien semble assez distant entre les deux structures.

Quand je l’interroge à propos du lien entre les Suédois et la nature et la place du développement durable dans l’éducation, Cecilia bouscule mes représentations : non le développement durable est assez peu abordé pendant la scolarité. Un Suédois vivant en milieu urbain peut être tout autant déconnecté de la nature que dans notre propre pays.

L’après-midi nous l’a passons au sein de l’établissement. Une visite dans des cours était initialement prévu mais finalement nous nous retrouvons dans le bureau du principal avec Anita pour discuter de notre partenariat. C’est le moment de clarifier nos attentes, de passer en revue nos documents et d’obtenir des signatures. Sécurité, niveau d’expérience des élèves, moyens financiers disponibles, et dates de congés et fermeture de l’école, l’équipe suédoise est quelque peu inquiète et aux premiers abords hésitante à accueillir nos stagiaires. Pourtant au fil de la conversation, nous sentons que nos informations les rassurent et finalement ils acceptent de chercher une solution pour rendre ces stages possibles.

Nous quittons le bureau du principal, confiants. Anita nous accompagne à la cantine pour le repas et nous discutons de l’organisation de l’enseignement et de l’internat. Elle nous montre des emplois du temps affichés dans le hall d’entrée : natural ressources, suédois, anglais, ethics, animal care, agriculture… ici pas d’ESC, assez peu de lettres. Il y avait des matières culturelles et davantage de langues auparavant mais les programmes ont changé et aujourd’hui les matières scientifiques ont vraiment pris le dessus. Je sens dans la voix d’Anita qu’elle déplore cette évolution. Malgré cela les élèves dans leur temps libre peuvent jouer, dessiner, cuisiner, ou lire. Le soir les élèves sont libres, il n’y a pas d’étude imposée. D’eux même les élèves vont demander à un enseignant de les aider après les cours en allant réparer des machines dans l’atelier, ou s’entraîner à conduire un tracteur.

A la question quels problèmes rencontrent-ils avec les jeunes aujourd’hui, Anita met en avant les travers des médias, amenant des cas de harcèlement.

Nous nous dirigeons vers la cantine et à notre table s’asseoit un homme aux petit yeux pétillants et au visage sympathique, portant une chemise à carreau et un blouson vient. C’est Matts, le chef d’exploitation. Au-delà de la gestion de l’exploitation, parfois il enseigne, par exemple à conduire un tracteur. Sa famille était assez peu dans l’agriculture, un peu d’agroforesterie du côté de son grand père. Lui pourtant a eu une grande exploitation laitière qui a marché assez bien. Il a également travaillé à la société d’agriculture pendant un temps. Il nous invite à le rejoindre à l’atelier à 17h : des élèves lui ont demandé de les aider à s’entraîner sur la conduite du tracteur. Nous le retrouvons donc plus tard avec deux élèves au volant d’un tracteur. Elles doivent transporter des copeaux de bois vers un pré. Avec une patience et un calme imperturbable, Matts les guide et les conseille tout en les laissant faire par eux même. « He must be a good instructor » dit Sylvain en le regardant. Je souris en l’observant à mon tour. Yes he must be a good instructor.

Avons de rentrer nous avons un peu de temps alors nous filons faire quelques courses à Sätila en vue du weekend car la cantine de l’établissement ferme vendredi soir.

Vendredi 3 mai : Visite d’exploitations agricoles

Au programme de cette journée, des visites d’exploitation, avec comme guide Anders. Nous le rejoignons après le petit déjeuner, le van est prêt à partir. La route est longue et sinueuse mais belle avec ce soleil qui illumine champs, forêts et lacs. La météo elle est bien curieuse : nous passerons du soleil, à la pluie, à la neige. Comme si que les saisons en Suède pouvait se contracter en un seul jour.

Vers 10h nous atteignons Tjolöholm, une exploitation bovine. L’accueil est sympathique, l’agriculteur ne parle pas bien anglais, ce qui étonne Sylvain car les Suédois en général on une bonne maîtrise de l’anglais. Malgré la barrière de la langue, l’exploitant est vraiment disposé à répondre à toutes nos questions et à nous faire visiter son site. Nous le suivons, Sylvain traduit de temps en temps avec l’aide de Andres. Ce dernier nous tend des sac plastiques à enfiler aux pieds. Pour protéger nos chaussures… ou plutôt parce qu’il est trop vieux pour nettoyer le van, avoue-t-il en riant ensuite.

Le site est impressionnant. On s’y sent minuscule. Des hangars énormes. Environ 500 bêtes et pas n’importe lesquelles : des Limousines et des Blondes d’Aquitaine, deux races très rares en Suède mais dont la viande est appréciée par les consommateurs. L’agriculteur a trouvé là une niche bien rentable. La terre ne leur appartient pas mais ils la louent, depuis plusieurs générations. Il nous montre divers box, les animaux passent progressivement d’un espace à l’autre et sont ainsi habitué au contact avec l’humain et préparé au départ pour l’abattoir.

La dernière nouveauté de l’exploitation dont l’agriculteur semble fier : une machine permettant de distribuer la nourriture aux bêtes par un système de rail installé tout le long du hangar. Devant l’immensité de la tâche agricole, la machine s’installe. Pour gagner en temps, en énergie et main d’œuvre, la mécanisation est de mise malgré son prix (près de 60 000 euros) et l’attente des subventions européennes.

Je lui demande s’il est intéressé par un des labels comme le label bio ou autre. Il m’explique qu’il ne cherche pas à obtenir un quelconque label et préfère se focaliser sur la traçabilité et être irréprochable à ce niveau pour les consommateurs. Avant de partir nous évoquons la possibilité d’envoyer nos stagiaires ici. La réponse de l’agriculteur est assez claire. Il ne souhaite pas recevoir nos élèves, car il a déjà des stagiaires d’une autre école. De plus il craint que les difficultés linguistiques soit un réel problème. Nous repartons bredouille sur la question des stages, mais tout de même riche d’informations et images.

Avant de partir, nous faisons une halte avec l’agriculteur pour voir le château juste à côté de l’exploitation. De style tudor il est connu pour avoir accueilli le tournage du film de Lars von Trier Melancholia, qui raconte un mariage chaotique au moment où la Terre est sur le point de disparaître en raison de l’approche de la planète Melancholia. C’est drôle et étrange ce bâtiment au beau milieu de cette campagne suédoise, on croirait brusquement entrer dans un roman anglais.

La vue depuis le château est agréable, derrière le jardin et un banc de sable, la mer est à quelque pas, parsemée de rochers et comme mêlé au ciel. Temps en suspension.

Nous allons déjeuner à Kungsbacka, dans un minuscule restaurant chinois, petit buffet à volonté peu cher. L’occasion de discuter davantage. Anders est un personnage. Derrière ses quelques rides se cachent un enseignant à la fois engagé et résigné. Le métier d’enseignant n’est pas très bien payé, il aurait mieux fait de faire autre chose, dit-il. Il a l’âge de la retraite, pourtant il continue d’enseigner la chimie et les maths, entre autres. Difficultés financières ou simple souhait de s’occuper ? Je ne sais pas trop, je ne cerne pas toujours là où il veut en venir. Il est drôle, plein de plaisanteries et d’anecdotes derrière lesquelles il faut aller le chercher. Il a souvent un sourire et un regard espiègle en réponse à nos questions. Il doit toujours chercher son portemonnaie, ses clés ou ses lunettes. Un esprit ailleurs, pas tout à fait sur terre, peut-être est-il davantage un marin ? Il nous dit posséder un bateau et naviguer régulièrement. Il est curieux et nous interroge sur notre compréhension et notre perspective du monde.

La visite de l’après midi n’a rien à voir avec celle du matin. Nous faisons connaissance avec un couple, elle vétérinaire, lui ancien directeur d’entreprise, qui ont crée une exploitation d’une centaine de moutons, de la race Goteland, rare et spécifique à la région. Là aussi ils ont trouvé une niche économique, mais l’échelle n’est plus la même, l’atmosphère est différente. L’allée d’entrée est très propre, les clôtures impeccables. Un drapeau flotte au centre de la cour, dans un parterre de fleurs. Ici et là des bordures soigneusement plantées. Plusieurs bâtiments de bois à taille humaine : l’étable, la boutique et la maison.

Ici aussi on a investi dans la machine pour faciliter la distribution alimentaire. Il y a eu des naissances récentes, quelques agneaux ne nous laissent pas indifférent avec leur beau pelage noir, leur gambettes maladroites et leurs mignonnes frimousses.

L’entreprise mise sur trois axes : la viande, la laine et les animaux de pédigree. Durant l’automne, 16 agneaux sont abattus par semaine. Inspiré par le présalé français, le couple a fait déposé et protégé le nom de sa viande de mouton pour s’assurer le monopole et mieux le vendre. Dès le début l’élevage en bio était l’objectif et les ressources naturelles telle que l’énergie solaire sont exploitées pour faire fonctionner l’exploitation, même si cela ne suffit pas pour faire face à l’hiver.

Nous faisons le tour de la boutique : tapis, pull, chapeau… des produits attrayants. Anders semble avoir craqué pour la peluche.

Puis le couple nous invite pour le Fika dans leur salon. La maison, de l’extérieure petite, est vaste à l’intérieure. Parfait et poli, avec de grandes fenêtres. La mer en face, baignée de lumière, en contraste avec le vert brillant de l’herbe et les roches grises empilées. Magnifique, paisible, presque surréel ce site. Presque un petit air irlandais.

Entre deux bouchées de tarte gentiment préparé par la femme, le mari nous expose, diapo sur papier en main, les grandes lignes de leur concept, de leur business plan. Nous sommes épatés, c’est qu’ils ont une vision, de la détermination et un parcours impressionnant alors qu’ils ne s’y connaissaient pas du tout dans le domaine agricole ! Et on sent une réelle cohésion professionnelle dans le couple. En plus des découvertes et échanges intéressants, nous repartons aussi cette fois avec un espoir : Le couple est enthousiaste à l’idée de recevoir nos élèves en stage, mais de préférence au mois d’avril car c’est à ce moment qu’il y a le plus de travail. Nous en prenons note et rentrons content de la journée.

Samedi 4 mai : Après l’agriculture, un peu de culture…

Plongée culturelle en ce samedi ! Après nous être trompé à deux reprises, nous retrouvons la route jusqu’à la maison d’Anita et nous l’embarquons. Anita rit de notre retard. Il y a quelque chose de plus léger dans sa voix ce matin là. Et je ne me trompe pas, Sylvain et moi la trouvons plus ouverte et plus proche. D’après Sylvain c’est assez classique en Suède. Des premiers échanges un peu froid, distants, hésitants mais poli, puis détente et ouverture. Peut-être est-ce aussi le fait que l’aspect organisationnel n’est plus le sujet, que nous sommes entre nous et qu’elle commence à mieux nous cerner.

Nous avons choisi d’aller visiter en premier lieu une ferme pédagogique. Je profite du trajet pour poser une foule de questions sur la jeunesse suédoise et l’organisation de l’établissement. Le système de sanctions, les relations entre enseignants, les problèmes rencontrés par la jeunesse suédoise, la vie d’internat… J’apprends qu’il n’y a pas d’exclusion de cours, en revanche il peut y avoir exclusion de l’internat, ce qui selon Anita est une véritable sanction dans la mesure où les élèves viennent de loin. Faire la route chaque jour est donc une réelle punition. Les jeunes peuvent faire remonter des informations voir changer des choses par le comité des élèves en lien avec les enseignants et la direction. Il n’y a pas de fêtes officiellement organisées pour les internes, mais les élèves en prennent l’initiative parfois dans la forêt ou au bord du lac. Anita déplore principalement des problèmes psychologiques (fragilité, dépression), qu’elle lie aux médias, jeux vidéo et réseaux sociaux. Il est souvent difficile face à ces technologies de capter leur attention. Ils n’ont pas de psychologue mais un « curator » (sans doutes un assistant social) qui vient de temps à autre s’entretenir avec certains élèves. L’atmosphère entre collègue dans l’établissement lui convient. Par manque de temps ils n’ont toutefois guère le temps de discuter pédagogie.

Sur la route Anita nous fait nous arrêter à la réserve culturelle où l’on peut découvrir un ancien village.

Quatre maisons datant du 17 au 19ème siècle se tiennent autour d’une cours. Mais l’occupation de ce territoire remonte à plus loin, à l’âge de Bronze. Ce site est entretenu et préservé par la région et la commune de Kungsbacka, avec le soutien de l’Europe, en usant de matériau et technique d’époque et en réinvestissant certaines traditions.

Nous déambulons dans les différentes pièces, maisons et granges, observant le mobilier, les matériaux, les céréales cultivées (lin, seigle et avoine) et nous nous interrogeons sur les traditions par exemple les piquets de bois décoré de ruban que nous voyons ici et là. L’une des responsables du site nous parle d’une fête de printemps païenne. Des évènements sont organisés pour animer le site par exemple un marché de terroir. Des visites et ateliers pour les écoliers et groupes sont aussi proposées. Un peu comme au musée de Seine-et-Marne de Saint Cyr il s’agit ici de transmettre sur la culture et l’histoire rurale, à travers cette collection ethnographique grandeur nature et en rejouant des fêtes, des costumes et savoirs faire d’antan. Nous nous arrêtons au salon de thé du site, et dégustons un kanelbullar à la cardamome et un thé, ce qui est bienvenu avec ce temps plutôt froid.

Puis nous poursuivons notre route vers la ferme pédagogique. Pas de visite guidée mais promenade le long des espaces. Malgré la météo pluvieuse, quelques familles et enfants qui s’y sont risqués. Et l’endroit en vaut le coup : chevaux, cochons, lapins, poules, chèvres, moutons, des sentiers forestiers pédagogiques, et des aires de piques nique… de quoi passer des moments conviviaux et riches en découverte pour les familles. La ferme dispose même d’une auberge pouvant accueillir des groupes sur plusieurs jours.

Lorsque nous avons fait le tour il est bientôt 14h et nous avons faim. Nous trouvons un petit snack servant hamburger, frites et sandwich. Pas de la grande gastronomie mais de quoi caler nos estomacs pour poursuivre nos visites.

L’après-midi nous nous rendons à Rydals le musée du textile. La région est en effet connue pour avoir été un centre de développement de l’entreprise textile. Installé dans l’ancienne usine, le parcours dans le musée n’est pas toujours très clair et il manque souvent des traductions en anglais. Mais nous voyons les machines à filer, divers types de matière et au fond du musée Träsmak, une installation temporaire contemporaine qui présente diverses chaises, l’histoire de leur design et de leur industrie.

En fin d’après-midi Anita nous invite chez elle pour le Ficka. Boo travaille dehors à couper de bois. Nous nous installons et dégustons un thé et un kanelbullar fait par la fille de Anita. Agréable moment au chaud pour clore cette journée riche en découvertes culturelles.

Dimanche 5 mai : Journée Portes Ouvertes

Pas de rendez-vous ni de lieux à visiter. La journée démarre dans le calme pour nous. Les enseignants de l’établissement en revanche eux sont sur le pont depuis 8h. De la fenêtre de la cuisine avec Sylvain nous les voyons s’activer, des tables se montent et des machines s’alignent. Aujourd’hui est un jour spécial. Stromma a rendez-vous avec une tradition, le Betessläpp : après de long mois d’hiver passés enfermées, les vaches de l’exploitation vont sortir de l’étable et retrouver le pré sous le regard du public. Ils étaient 3000 visiteurs l’an passé, c’est dire combien l’évènement est apprécié des locaux. C’est l’occasion de célébrer l’arrivée du printemps en famille. Et pour l’établissement, c’est une façon de valoriser les espaces, les formations et les élèves de l’établissement.

Vers 10h Sylvain et moi nous rendons sur la manifestation. Nous faisons le tour du site. Quelques producteurs et entreprises (plantes, tracteurs, fromages, pain) ont installé leurs stands. Distribuant briques de lait et brioches au public, Arla, entreprise suédoise ayant le monopole sur la fabrication de produits laitiers en Scandinavie, est également présente. Nous comprenons que c’est un partenaire important de l’exploitation.

Arborant les vêtements et couleurs de leur école, maquillées et bien mises, les élèves sont activement impliqués dans l’évènement à la fois dans l’animation, la surveillance et la restauration. Pour quelques euros, certains font faire un petit tour à cheval aux enfants. L’activité est un succès, la queue est bien longue. Il y a aussi un jeu de questions-réponses sur les thèmes du développement durable, de l’agriculture, la nature, les animaux. Les familles s’arrêtent aux divers panneaux pour lire et répondre avec leurs enfants. Des élèves proposent aussi du maquillage aux enfants. D’autres donnent des explications dans la bergerie ou l’étable, ou encore tiennent dans leur main d’étranges créatures pour le montrer au public. D’autres encore servent sandwichs et desserts ou parlent de leur formation.

Nous en profitons pour échanger avec les élèves car nous n’avons pas eu l’occasion de les rencontrer plus tôt. Je suis épatée de leur compétence en anglais ainsi que de leur attitude professionnelle. Certains veulent devenir soigneur animalier. D’autres rêvent de monter leur propre exploitation de vaches. Quand nous expliquons la raison de notre présence sur l’établissement, plusieurs expriment un intérêt pour le voyage, alors une mobilité en France pourquoi pas ?

Nous visitons les aquariums, la maison des reptiles et découvrons une belle variété d’animaux.

Nous croisons le principale ainsi que plusieurs enseignants. Stina enseignante dans le soin animalier. Matts à l’exploitation. L’enseignant de mécanique. Le collègue en anglais de Anita. Cette dernière est aussi présente mais occupée à la cuisine. Le temps n’est pas chaud mais le soleil est là durant toute la matinée. Vers 11h c’est le grand moment. Les visiteurs se rassemblent à l’entrée du pré et nous voyons les vaches s’élancer, l’air bien heureuse.

Nous remarquons aussi quelques personnes debout sur le haut de l’exploitation, un drap blanc dans les mains avec des textes provocateurs que Sylvain me traduit. Il s’agit d’activistes qui protestent contre l’élevage des animaux et la consommation de produits d’origine animale, en particulier le lait. Ils sont plusieurs et leur leader est connu dans la région, certaines de leurs activités sont parfois violentes. L’établissement avait anticipé leur venue. Craignant des remous, il a fait intervenir les forces de l’ordre auprès des élèves quelques jours avant la porte ouverte pour leur expliquer le comportement à adopter si ces militants se présentent. Et ils sont en effet venus, mais heureusement aujourd’hui leur action est calme, silencieuse et sans heurt, se limitant à la diffusion de ces messages.

Après la sortie des vaches, l’évènement arrive très rapidement à sa clôture. Les visiteurs s’en vont, les enseignants, entreprises et producteurs rangent leurs stands. En deux temps trois mouvements tout le site est rangé. A 15h il ne reste plus rien et on aurait peine à croire que quelques heurs plus tôt a eu lieu une porte ouverte. L’efficacité suédoise ça ne plaisante pas ! Les personnes veulent encore profiter de leur après midi en famille, alors on ne traîne pas au travail. L’établissement se vide. Et nous rentrons nous aussi.

Lundi 6 mai : petit coup de promotion pour la Bretonnière !

Nous voilà déjà aux dernières heures de notre séjour suédois. Mais avant le décollage à 17h, Anita et la direction nous ont invité à présenter notre établissement à l’ensemble de l’équipe pédagogique. Nous n’avions pas encore eu l’occasion de les voir au complet. La réunion hebdomadaire du lundi matin qui réunit tous les enseignants et la direction avant le démarrage des cours pour faire le point sur les informations principales offre le cadre idéale pour notre intervention. À 9h nous sommes fin prêt et les enseignants arrivent. Power Point à l’appui je présente notre région pour évoquer le contexte. Sylvain lui a préparé une description de la Bretonnière. La présentation est légèrement plus longue que prévue, mais les enseignants sont à l’écoute et je devine une belle curiosité. Certains posent quelques questions. Nous terminons en explicitant notre souhait de construire un partenariat basé sur l’échange de stagiaires.

Lors du café qui s’ensuit à la cantine, le directeur prend encore la parole et nous rassure : ils ont à coeur de faire tout leur possible pour rendre cet échange possible. J’en profite pour remercier toute l’équipe et en particulier Anita qui a été une telle aide dans notre séjour et qui certainement le sera encore lors de la venue de nos stagiaires.

Nous passons le reste de la matinée à rendre visite à quelques classes. Nous retrouvons quelques visages déjà croisés à la porte ouverte, et d’autres jamais vus. Nous présentons brièvement notre établissement et le partenariat envisagé aux élèves. Et là aussi belle surprise : plusieurs élèves sont intéressés pour venir en France ! Mais au-delà de la question de l’échange nous en profitons pour bavarder avec les élèves et en apprendre un peu plus sur leur vie au lycée. Le lundi matin est un temps dédié non pas au cours mais à l’échange sur les problèmes individuels et/ou collectifs. Chaque semaine, le professeur principal reçoit chaque élève à part individuellement pour faire le point sur sa situation, son ressenti, ses avancées et difficultés. Je suis impressionnée de cette démarche, de ce temps dédié à l’individu, marque d’une réelle considération de l’humain au-delà du simple statut d’élève. Mais la classe est petite. En Suède nous sommes bien loin des 30 que nous connaissons chez nous et qui rendrait ce processus laborieux. Pendant que les individus passent avec l’enseignante, les autres se réunissent et discutent sur les informations, souhaits et préoccupations à faire remonter au conseil lycéen. Le menu de la cantine et les sorties sont les sujets principaux. Quand nous leur expliquons les activités de l’ALESA, les élèves nous regardent avec des yeux abasourdis et envieux. Les activités culturelles sont restreintes ici mais on sent une envie de faire et créer davantage.

Nous retournons à l’appartement et finissons nos valises. Après le déjeuner il est temps de quitter le site. Nous passons à l’administration régler les derniers détails, puis nous disons aurevoir à Anita.

Il y a quelques mois, une mobilité enseignant en Suède paraissait peu probable. Pas de partenariats existants avec ce pays, des démarches pas toujours très claires, une infinité de paperasses, des aller et venus de mails, un hébergement trop coûteux, des difficultés à structurer le séjour… tout était à construire. Mais nous sommes parvenus à le rendre réel avec l’aide de nos collègues, de notre coordinatrice, de Anita et de toute l’équipe suédoise qui a organisé notre programme de façon brillante et en s’adaptant à nos moyens et nos objectifs. 6 jours de découvertes, de questionnement et de belles rencontres, un site superbe, un hébergement confortable, et des visites variées. Deux choses peut-être à changer pour ceux et celles qui voudront partir l’année prochaine : limiter les visites extérieures et passer plus de temps sur l’établissement pour en savoir plus sur l’enseignement, les élèves et la vie quotidienne au lycée ; choisir un sujet plus précis que le développement durable car si même si nous l’avons évoqué avec des personnes, nous n’avons pas vraiment étudié le sujet. Voilà le séjour déjà derrière nous. Ce n’est pourtant pas une fin mais plutôt le début d’un lien fort entre nos deux établissements.